Vous avez probablement vu qu’un petit organisme de bienfaisance qui lutte contre l’indigence, Canada sans pauvreté, a obtenu gain de cause à la suite de sa contestation judiciaire historique contre l’Agence du revenu du Canada (ARC) portant sur la vérification d’activités politiques, et vous vous êtes demandé de quoi il s’agissait. Ou peut-être avez-vous vu comment la participation des organismes de bienfaisance aux politiques publiques a été limitée par une loi désuète, et aviez des questions. Vous n’êtes pas le seul. On ne sait pas trop comment fonctionne notre droit des organismes de bienfaisance ni pourquoi il doit être modifié. Nous avons réuni quelques réponses à des questions courantes sur ce sujet pour pallier ce manque. Nous espérons qu’elles sauront vous éclairer.
Q : Qu’est-ce que le droit régissant les organismes de bienfaisance et qui est chargé de son application?
Le droit régissant les organismes de bienfaisance fait partie de la Loi de l’impôt sur le revenu, et l’Agence du revenu du Canada est responsable de son interprétation et de son application. La Loi de l’impôt sur le revenu relève du ministère canadien des Finances. Le droit des organismes de bienfaisance comprend également le « droit commun » qui est constitué des décisions des tribunaux relatives à des causes portant sur des activités de bienfaisance. Ces causes remontent parfois à des centaines d’années.
Q : Est-ce qu’il est permis aux organismes de bienfaisance canadiens de se livrer à des activités politiques?
Oui, dans les limites de certains paramètres. La Loi de l’impôt sur le revenu restreint la participation des organismes de bienfaisance enregistrés quant au type et à la quantité d’activités politiques. Les organismes de bienfaisance peuvent participer à des activités politiques non partisanes dans la mesure où ces activités les aident dans la réalisation de leurs fins de bienfaisance. Veuillez vous reporter plus bas pour prendre connaissance de ce que représentent les activités « politiques ». Vous serez surpris.
Q : Quelle est la différence entre des « activités politiques » et des « activités politiques partisanes »?
Le droit actuel limite les ressources que les organismes de bienfaisance peuvent consacrer à des « activités politiques ». Cependant, cette utilisation du terme « politique » diffère du sens que lui donnent les gens pour la plupart. Pour la majorité d’entre nous, le terme « politique » est associé à la politique électorale et au va-et-vient entre les partis Conservateur et Libéral, le NPD, etc.
Selon l’interprétation que fait l’ARC de la Loi de l’impôt sur le revenu, les activités politiques comprennent notamment :
1) faire demande d’une action politique, comme prendre contact avec un membre du gouvernement;
2) communiquer à la population qu’une loi devrait être maintenue, modifiée ou abolie;
3) déclarer explicitement que l’objectif visé par une intervention est de faire pression sur le gouvernement.
Cela signifie que, lorsqu’un organisme de bienfaisance se penche sur le phénomène de l’alcool au volant et demande à ses sympathisants d’écrire à leur député pour réclamer de meilleures lois, ou quand un organisme de bienfaisance en santé fait appel au public pour demander de nouveaux investissements pour de l’équipement de sauvetage, on considère que ces activités sont d’ordre « politique ». Nous demandons au gouvernement d’actualiser le droit pour permettre aux organismes de bienfaisance de jouer un plus grand rôle dans les discussions sur les politiques publiques.
Contrairement à « politique », le terme « partisan » renvoie au soutien ou à l’opposition à un parti politique ou à un candidat d’un parti. Nous convenons que les organismes de bienfaisance devraient demeurer non partisans; autrement dit, ces organismes ne peuvent favoriser des partis politiques ou des candidats, quels qu’ils soient.
Q : Est-ce que le lobbying n’est pas une activité « mauvaise »? Ne devrait-il pas être interdit?
Le « lobbying » se définit par la rencontre d’une personne avec son député ou avec un haut fonctionnaire pour discuter d’un enjeu de politique publique. C’est par ces conversations que les députés et le gouvernement prennent connaissance d’une grande part des informations au sujet des incidences d’une loi ou d’une politique envisagée. Si le lobbying devait être interdit, les politiciens ne pourraient pas recueillir les informations dont ils ont besoin pour prendre des décisions politiques judicieuses. Votre député n’est pas un expert en matière de santé ou d’environnement; c’est pourquoi ces rencontres sont essentielles.
Q : En quoi diffère le lobbying des entreprises de celui des organismes de bienfaisance?
Les entreprises et les associations industrielles dépensent des millions pour leurs activités de lobbying, et elles le font pour convaincre les gouvernements d’adopter des politiques qui les favorisent elles, ainsi que leur secteur (elles doivent agir ainsi d’après la nature de leurs propres obligations légales de faire de l’argent au profit de leurs actionnaires). Aucune restriction ne s’applique à leurs activités de lobbying. Par contraste, les organismes de bienfaisance doivent, en vertu de la loi, se livrer à des activités de lobbying qui sont dans l’intérêt supérieur de la population, et le temps qu’ils peuvent consacrer à ces activités est extrêmement restreint, ce qui limite la voix de leurs sympathisants.
Q : Est-ce que les organismes de bienfaisance paient des impôts, et quel est le lien avec la liberté d’expression?
Les organismes de bienfaisance ne paient pas l’impôt sur le revenu des sociétés, mais leurs employés paient des impôts comme tout autre travailleur. De plus, il est interdit aux organismes de bienfaisance de faire des profits.
La question de la liberté d’expression est liée aux règles actuelles qui interdisent aux organismes de bienfaisance de faire appel à la participation du public pour obtenir de meilleures lois et politiques visant la protection des droits de la personne, de la santé et de l’environnement. Cela signifie que les citoyens qui font des dons aux organismes de bienfaisance ont peu de possibilités de faire entendre leur voix pour revendiquer des lois et politiques appropriées.
Il est crucial que les sympathisants des initiatives d’un organisme de bienfaisance puissent écrire à leur député fédéral ou provincial pour demander leur intervention. Si les organismes de bienfaisance ne peuvent informer leurs membres sur ces enjeux, le Canada deviendra un pays moins démocratique et moins prospère. Le contexte n’est pas équitable parce que les entreprises ne sont pas soumises à de telles restrictions.
Q : Quelle est la différence entre le traitement fait aux organismes de bienfaisance et aux sociétés concernant la défense d’intérêts en matière de politiques publiques et d’allégements fiscaux?
Les citoyens obtiennent une réduction d’impôt en faisant des dons à des organismes de bienfaisance (vous l’aurez remarqué sur le formulaire de déclaration de revenus que vous avez soumis après avoir fait un don à un organisme de bienfaisance). Les ressources dont disposent les organismes de bienfaisance pour aborder des enjeux de politiques publiques sont directement proportionnelles aux dons qu’elles reçoivent.
À l’opposé, les entreprises peuvent consacrer des sommes illimitées pour appuyer un enjeu de politique publique ou s’y opposer, et ont le droit de déduire ces dépenses de leur revenu brut, ce qui se traduit par une baisse d’impôt. Cela s’apparente, sur l’échelle des avantages fiscaux, à ce qu’obtient un citoyen qui verse un montant dans son REER; il s’agit d’un avantage fiscal plus important que dans le cas d’un don à un organisme de bienfaisance. Les citoyens subventionnent cette activité institutionnelle en raison de ces règles.
Q : Pourquoi le droit des organismes de bienfaisance doit-il être actualisé?
Le droit régissant les organismes de bienfaisance au Canada accuse un retard par rapport à la plupart d’autres pays occidentaux. Les lois sur les organismes de bienfaisance dans des lieux comme l’Australie, le Royaume-Uni, l’Europe et la Nouvelle-Zélande enchâssent la capacité de ces organisations à entreprendre des activités de défense d’intérêts pour faire avancer leur cause. La philanthropie est autorisée, sous réserve de quelques exceptions, à financer des activités de défense d’intérêts relativement à des politiques (non partisanes électorales). Ceci est important puisque le financement d’activités de défense d’intérêts compte parmi les façons les plus efficaces dont dispose la philanthropie en ce qui a trait à la protection de l’environnement, de la santé humaine et des droits de la personne.
Q : J’ai vu que le tribunal a ordonné à l’ARC de cesser de fixer des limites aux activités politiques des organismes de bienfaisance. Qu’est-ce que cela signifie?
Un juge de la Cour supérieure de l’Ontario a statué que la Loi de l’impôt sur le revenu porte atteinte au droit constitutionnel des organismes de bienfaisance à la libre expression. Cela veut dire qu’une règle de longue date qui limite à 10 pour cent les ressources que n’importe quel organisme de bienfaisance canadien peut consacrer à des activités politiques a été invalidée. Cette décision ne modifie pas l’interdiction à laquelle sont sujets les organismes de bienfaisance de se livrer à des activités partisanes (voir plus haut la différence entre les activités politiques et les activités partisanes).
Q : Le juge a déclaré que les articles discriminatoires de la Loi de l’impôt sur le revenu sont « sans effet »; est-ce que cela veut dire que la Loi actuelle doit être changée ou est-ce que le jugement correspond effectivement à la modification de la Loi?
À l’heure actuelle, ce jugement signifie que les organismes de bienfaisance ne sont plus soumis à des limites quant à leur capacité de se livrer à des activités politiques non partisanes. Cependant, le gouvernement fédéral peut interjeter appel de cette décision auprès de la Cour d’appel de l’Ontario. Dans ce cas, cela signifiera clairement que le premier ministre aura renié sa promesse de « permettre aux organismes de bienfaisance d’accomplir leur travail au nom des Canadiens et Canadiennes sans faire l’objet de harcèlement politique et moderniser les règles qui régissent les secteurs des organismes de bienfaisance et des organismes sans but lucratif ».
Nous espérons qu’à la suite de ce jugement et d’une recommandation antérieure d’un groupe de consultation (que le juge a cité dans sa décision), le gouvernement respectera enfin son engagement d’actualiser le droit régissant les organismes de bienfaisance au Canada.